dessin de la pintiere

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Le 15 août 1944, 2 200 hommes et femmes, au moins, partent en Allemagne. C'est sans doute un des transports qui emmènent le plus grand nombre de déportés vers le Reich. Le départ de ce transport, initialement prévu le 12, a été retardé par la gréve des cheminots parisiens entamée le 10. Par ailleurs, les installations de la gare de l'Est ayant été détruites par la Résistance dans la nuit du 12 au 13, les autorités allemandes décident de former le convoi ferroviaire en gare de Pantin.

Le matin du 15 août, les hommes commencent à arriver. Ils sont suivis dans l'après-midi par les femmes. Ils viennent de plusieurs lieux d'internement de la région parisienne : notamment des prisons de Fresnes et du Cherche Midi, du Fort de Romainville et du Camp de Compiègne. Les SS, encadrant le transfert des femmes internées à Fresnes vers la gare de Pantin, ont dû menacer de leurs armes les chauffeurs de bus parisiens qui refusaient de leur obéir.

La Croix-Rouge, informée de la constitution d'un train de déportation, se rend à la gare de Pantin. Elle distribue des colis contenant des rations alimentaires et obtient la libération de 36 personnes : des malades et des femmes enceintes. Celles-ci sont emmenées à Fresnes ou dans des hôpitaux.

La constitution chaotique du transport est le prélude à un voyage marqué par de nombreux arrêts. Ceux-ci expliquent la durée du transport qui se déroule par ailleurs sous une forte chaleur.

Le train part dans la soirée du 15 août. Le lendemain, il s'arrête avant d'atteindre la gare de Nanteuil-Saacy, le pont ferroviaire enjambant la Marne ayant été détruit par un bombardement le 8 août 1944. Les déportés doivent alors rejoindre à pied cette gare où un autre train les attend. À l'occasion du transbordement, plusieurs évasions ont lieu et les SS encadrant le transport
procèdent à des exécutions. Il semble qu'une personne malade ait été libérée durant l'opération de transbordement.

Le 17 août 1944, la résistance essaie, sans y parvenir, de stopper le convoi à Dormans, dans le département de la Marne. Plus tard, le chef de gare de Revigny, dans celui de la Meuse, à la
demande de la Croix-Rouge, tente lui aussi de convaincre le chef de train SS d'arrêter le transport, mais sans plus de réussite.

Dans le même temps, à Paris, le consul de Suède Raoul Nordling signe un accord avec le major Huhm représentant le Militärbefehlshaber in Frankreich. Suivant ce texte, les prisonniers et déportés sont placés sous la protection du consul de Suède. Cependant, les nombreuses démarches du diplomate ne parviennent pas à arrêter le transport du fait du refus du chef de train SS.

Dans la nuit du 17 au 18 août, le train arrive à Bar-le-Duc. La Croix- Rouge, qui demande l'arrêt du train, n'obtient que la libération de trois femmes et d'un prêtre polonais malade. Le 18, à Lérouville puis à Avdcourt, au passage de la frontière, elle renouvelle infructueusement cette demande. Le même jour, lors d'une halte à Nancy, des membres du gouvernement Laval en route pour l'Allemagne demandent au préfet d'intervenir pour stopper le transport. Ces démarches échouent également.


Peu après le départ de Nancy, 2 femmes réussissent à s'évader. Puis 2 malades sont semble-t-il libérées, l'une à Avricourt, l'autre à Sarrebourg.

Le 19 août, le train arrive à Weimar. Deux femmes représentant l'ensemble des déportées sont autorisées à aller voir leurs maris. Le matin du 20 août, les hommes arrivent au KL
Buchenwald, alors que les femmes continuent en direction de Ravensbrück. Une femme est hospitalisée à Halle. Le 21 août, le train arrive à Fürstenberg. Les femmes
sont alors emmenées à pied au KL Ravensbrück.

Le sort de ces hommes et de ces femmes était lié bien avant leur départ de Pantin pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la très grande majorité de leurs arrestations a eu lieu à partir du mois de juin 1944 :

298 (75,1 %) sur les 397 dates d'arrestation établies pour les hommes* ,175 (75,8 %) sur les 231 dates retenues pour les femmes.

La corrélation est également très forte en ce qui concerne les principaux départements d'arrestation connus : 154 hommes (43,9 %) et 92 femmes (54,8 %) ont été arrêtés dans la Seine, 24 hommes (6,8 %) et 16 femmes (9,5 %) dans le Loiret, 26 hommes (7,4 %) et 8 femmes (4,8 %) en Seine-et-Oise. On note cependant des différences significatives dans les départements de la Côte- d'Or (17 femmes soit 10,1 %, aucun homme) et de la Seine-et-Marne (1 femme, 15 hommes soit 4,3 %). Dans le cas de la Seine-et-Marne, cette différence s'explique par la présence dans ce transport de plusieurs résistants arrêtés ensemble à Milly-la-Forét le 6 avril 1944. Enfin, parce qu'ils ont résisté ensemble, plusieurs couples sont aussi déportés dans ce transport, parmi
lesquels le professeur Henri Maspero et sa femme Hélène arrêtés le 28 juillet 1944. Comme eux, 11 femmes et 13 hommes du réseau Vengeance arrêtés dans le Loiret, ou 5 femmes et 8
hommes des réseaux Brutus et Darius faits prisonniers les 4 et 5 juillet 1944 à Paris dans le cadre d'une intervention conjointe de la Milice et de la Gestapo, se retrouvent dans ce transport.

On signalera la présence dans ce transport de 9 résistants devenus Compagnons de la Libération, à leur retour où à titre posthume dans le cas de Louis Gentil, chef du réseau Darius-Nord, décédé à Dora ; de Guy Flavien, qui par son travail à l'Office Régional du Travail de Paris a résisté et a évité à beaucoup de personnes un départ en Allemagne ; et de Marcelle Henry, des Forces Françaises Combattantes. Emile Bollaert, arrêté en février 1944, succède le 1er septembre 1943 à Jean Moulin en qualité de Délégué général du Comité Français de Libération Nationale. Jacques Brunschwig assure, après son passage en zone Nord en février 1943, les fonctions de délégué général intérimaire du mouvement Libération-Nord, en l'absence de Jean Cavaillès,
parti pour Londres, puis de représentant à l'assemblée consultative d'Alger. Parachuté en France le 31 mars 1944 comme chef de mission du BCRA, il est arrêté sous le nom de Bordier. Edmond Debeaumarché, arrêté le 3 août 1944, est une des chevilles ouvrières de l'organisation de résistance des PTT. Pierre Dejussieu est arrêté en mai 1944 alors qu'il est le chef d'état-major national des FFI. Pierre Lefaucheux, chef des FFI de Paris, de la Seine, et de la Seine-et-Oise, est arrêté le 3 juin 1944.Gaston Vedel, chef du réseau Bonnet-Darius à Paris, est arrêté le 4 juillet 1944.

Par ailleurs, on évoquera le cas particulier de 168 aviateurs alliés déportés dans ce transport, soit 10,2 % des hommes. C'est une des seules fois que, sur le front occidental, des prisonniers de guerre alliés ne sont pas traités comme tels mais déportés. En effet, recueillis par des réseaux de résistance après avoir été abattus au-dessus de la France, ils sont arrêtés lors des démantèlements de ces organisations. Ils perdent alors leur statut de prisonnier de guerre aux yeux des Allemands.

Ces hommes et ces femmes ne sont séparés qu'à leur entrée dans le système concentrationnaire. À Buchenwald, les hommes sont immatriculés dans la série des "76800 » à « 78500 ». Plus de 750 sont transférés à Dora, soit près d'un homme sur deux de ce transport, d'où par la suite au moins 560 vont à Ellrich. La mortalité est très importante dans ce groupe, puisqu'au moins 70 % de ceux dirigés sur Dora et 82% de ceux envoyés vers le Kommando d’Elldch décèdent au cours de leur déportation. Ces décès représentent près des deux-tiers de ceux connus des hommes partis de Pantin. Tout un autre groupe est dirigé dans des Kommandos du KL Buchenwald ‘principalement ceux de Wansleben (au moins 65 personnes), Leipzig ou Dernau. Des transferts, moins nombreux, ont également lieu vers les KL de Dachau et Flossemburg plus de la moitié de ces hommes sont de manière certaine décédés en Déportation. (53,9%)

Par ailleurs, les aviateurs alliés sont, en grande majorité, transférés à la fin de l’année 1944 vers différents Oflag et Stalag, où ils restent jusqu’en mai 1945.

Enfin, il faut noter le cas de deux déportés que l'on a classé dans ce transport, sans certitude, parce qu'ils quittent Pantin le 15 août. A leur arrivée, ils sont envoyés au Kommando de Bad Godesberg puis à celui d'Eisenberg, dépendant du KL Flossenbürg, réservés aux « personnalités-otages ».


A Ravensbruck, les femmes sont immatriculées dans la série des « 57000 ». La majeure partie d'entre elles est ensuite dirigée vers le Kommando de Torgau. Certaines vont ensuite à Abteroda et Markkleberg avant de revenir à Ravensbrück. Il y a ensuite des transferts vers Kôünigsberget et Rechlin*. La mortalité des femmes déportées dans ce transport est moins importante que celle des hommes : un peu plus du quart ne sont pas revenues (27,6 %). (Ravensbruck (Editions du Seuil, 1988), G. Tillion a publié une étude détaillée du parcours des femmes de ce transport dans les camps.)

 

 

Jérôme Hamel

extrait du livre mémorial - 2004- édition Tirésias

  A. Sellier, Histoire du camp de Dora, La découverte/Poche, Paris, 2001.

  • Le parcours de ce transport a été retracé par des témoignages dans Les Cahiers de la Résistance Seine-et-Marnaise (no 1, « Le Dernier Convoi »).
  • Il a été étudié par G. Tillion et A. Le Douarn qui a fait une synthèse de ce travail (Fonds G. Tillion, Musée de la Résistance et de la Déportation, Besançon).

Voir également les témoignages

  • de l’Abbe´ G. Henocque, Les antres de la bête, Fresnes-Buchenwald-Dachau, Paris, 1947 ;
  • E. Lafond-Masurel, Survie, Buchenwald-Dora-Ellrich-Oranienburg, Louviers,1945 ;
  • H. Mazeaud, Visages dans la tourmente, 1939-1945, Paris, 1946 ;
  • Y. Pagniez, Evasion 44, Paris, 1949 ; R. Pouzet, Propos d’un bagnard à ses enfants, Paris, 1946.
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