Lyon le 11 août 1944

 prison de montluc

vendredi 11 août 1944, le train n°14166 quitte la gare de Lyon-Perrache avec à son bord plus de 600 hommes, femmes et enfants internés jusqu’ici au Fort de Montluc, amenés à la gare en autocars et déportés par les autorités allemandes.[2] Il comprend des personnes arrêtées par mesure de persécution ou par mesure de répression. Dans le train, les hommes sont séparés des femmes et les juifs sont séparés des non-juifs.

Selon quelques témoignages[3], le train était dans un premier temps destiné à rejoindre Paris. En raison de l’avance des armées alliées autour de Paris et des opérations de sabotages menées par les résistants sur les voies ferrées, il aurait été décidé de le dévier vers l’Est. Après Lyon, le train prend donc la direction de Mâcon, Chalon-sur-Saône, Chaumont, Vittel, Epinal, Belfort, avant d’arriver à la gare de Rothau le 18 août, après une semaine de voyage. Là, les 222 hommes non juifs descendent et rejoignent le KL Natzweiler situé à environ huit kilomètres en altitude. Le train repart et, à Strasbourg ou à Sarrebruck[4], les wagons des hommes, femmes et enfants juifs sont accrochés à un autre train en partance pour le KL Auschwitz. Les 64 femmes restées dans un wagon sont emmenées jusqu’à Berlin, puis Ravensbrück, où elles arrivent le 22 août. Elles sont immatriculées juste à la suite des femmes arrivées de France, la veille, après être parties le 15 août 1944 de la gare de Pantin.[5]

 

Les 286 personnes recensées aux KL Natzweiler et Ravensbrück sont des détenus du Fort de Montluc, choisis par les Allemands pour être déportés.[6] Toutes sont liées à la résistance et ont été arrêtées, pour la plupart, au cours des deux derniers mois précédant ce départ dans les départements proches de Lyon[7], les quatre principaux départements connus étant le Rhône (40 %), l’Isère (31 %), la Drôme (10,3 %) et le Jura (9,7 %).

Dans le Rhône, les démantèlements de groupes de résistants sont nombreux. Ainsi, le réseau Pown-Monica, représentant la résistance polonaise en France subit de nombreuses interpellations à Lyon au cours de l’été 1944. Ceci explique la présence dans ce transport de 57 personnes de nationalité polonaise. D’autres organisations sont touchées par les vagues d’opérations de la Gestapo : l’Armée Secrète, les mouvements Combat et Libération, les réseaux Shelburne et PTT, etc.

Dans l’Isère, des démantèlements de groupes de FTPF et de l’Armée Secrète ont ainsi lieu durant cette même période. Par ailleurs, de nombreuses personnes sont arrêtées pour avoir apporté une aide aux maquis locaux, notamment le maquis de la Chartreuse. Des rafles de représailles sont aussi organisées par les Allemands dans des villages où une part non négligeable des hommes avait pris le maquis.

Dans la Drôme, signalons le cas de 7 infirmières du maquis du Vercors, qui sont arrêtées et déportées alors qu’elles étaient repliées dans la Grotte de La Luire, qui servait d’hôpital lors de l’attaque allemande du maquis.[8]

 

Ces hommes et ces femmes, parce qu’ils ont été séparés avant même leur entrée dans un camp de concentration, ont connu des parcours de déportation différents qu’ils nous faut distinguer.

Les hommes arrivés au KL Natzweiler, le 18 août, y restent jusqu’au début septembre, avant d’être évacués avec la totalité de l’effectif du camp vers le KL Dachau. Ils sont immatriculés dans les séries « 98000 » à « 103000 ». A partir de là, ils sont soit affectés à des Kommandos de travail, soit transférés vers d’autres KL. Ainsi, des petits groupes sont envoyés dans les Kommandos de Dautmergen, de Leonberg, d’Ottobrunn, de Schömberg et surtout d’Allach le 8 septembre 1944. De là, ils sont dirigés, le 14 septembre vers le site d’Haslach-Sportplatz, en Forêt Noire, pour construire une usine souterraine devant soutenir l’effort de guerre allemand.[9]

Les transferts vers d’autres KL ont principalement été dirigés vers deux camps : le 14 septembre 1944, au moins 51 déportés de ce transport sont transférés au KL Mauthausen, où ils sont immatriculés dans les séries « 97000 » à « 99000 ». A peine arrivés, ils sont envoyés dans les Kommandos de Gusen, Ebensee et Melk, où 20 décèdent. Le 22 octobre 1944, le second transfert a lieu de Dachau vers le KL Neuengamme, et comprend 15 personnes.

Enfin, signalons le départ de Dachau d’un groupe de déportés vers Gotenhafen (Gdynia), Kommando du KL Stutthof, à l’est de Dantzig, le 31 octobre 1944, avec 3 hommes du transport de Lyon.

Les femmes arrivées à Ravensbrück connaissent les mêmes transferts que les autres « 57000 » arrivées la veille de Paris, gare de Pantin.[10] La très grande majorité quitte Ravensbrück pour le Kommando de Torgau. Certaines sont à nouveau transférées vers Abteroda et Markkleeberg, avant de revenir au KL Ravensbrück, où elles reçoivent un nouveau matricule dans la série des « 75000 ». Dès lors, de nouveaux départs vers Königsberg et Rechlin se succèdent. Il faut enfin signaler que 3 femmes de ce transport ont été gazées au KL Ravensbrück en mars 1945.

 

Thomas Fontaine, Guillaume Quesnée

Extrait du livre mémorial Edition Tirésias 2004

 

[1]Cette série n’est pas complète, les archives n’ayant pas permis de retrouver les matricules pour chacune des déportées.

 

[2]Plus de la moitié de ce transport est composée de personnes arrêtées par mesures de persécution, parce qu’elles sont juives. Elles sont destinées au KL Auschwitz. La liste des déportés juifs partis de Lyon est publiée dans le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, établi par Serge Klarsfeld (convoi n° 78, Lyon, du 11 août 1944).

 

[3]Sur ce transport, voir les témoignages de Claude Bernet, matricule 57961 au KL Ravensbrück, de Pierrette Rossi (57963) et de Marie-Louise Dragol (57962), déposés dans le Fonds Germaine Tillion, Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. Lire également Beatrix de Toulouse-Lautrec, J’ai eu vingt ans à Ravensbrück, France-Loisirs, Paris, 1992.

 

[4]Les témoignages divergent sur le lieu de séparation. Il s’agit de l’une de ces deux gares.

 

[5]Voir la liste des noms et la notice de ce transport (I.264.).

 

[6]Un témoignage indique que le matin du 11 août 1944, les autorités allemandes sont passées dans les cellules avec une liste de noms. Toutes les personnes appelées ont été rassemblées dans la cour du Fort et amenées à la gare de Lyon-Perrache.

 

[7]On connaît 145 départements d’arrestation sur les 286 déportés, soit 50,7 %.

 

[8]Sur cette affaire, voir Henri Noguères, Histoire de la Résistance, éd. Crémillet & Framot, Genève, 1982, tome 9, p. 390.

 

[9]Sur Haslach, voir Michelle Bicheray-Choquin, Les camps de Haslach… Les déportés racontent, Besançon. Ouvrage déposé à la FMD.

 

[10]Voir la notice du transport parti de Paris, gare de Pantin le 15 août 1944 et arrivé le 21 août au KL Ravensbrück (I.264.).

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