Transport parti de Compiègne le 6 juillet 1942 (I.42.)
Auschwitz, le seul camp ou les déportés avaient leurs matricules tatoués sur l’avant-bras gauche
ici ceux de Robert Gaillard (45565), Lucien Ducastel (45491), René Demerseman (45453), Georges Dudal (45494
On ignore le nombre exact de déportés, tous de sexe masculin, au départ de Compiègne car ni la liste de départ et ni celle d'arrivée n'ont été retrouvées. Les quelques rescapés ayant donné un chiffre précis parlent de 1175 hommes. En revanche, on connaît le nombre total des déportés (1170), enregistrés au camp d'Auschwitz le jour de leur arrivée, grâce à un document de la Résistance du camp indiquant les numéros d'immatriculation extrêmes des convois arrivés à Auschwitz pendant cette période.
Deux déportés se sont évadés peu avant Metz. Repris par deux gardes-frontière allemands, ils sont renvoyés sur Paris, internés à Romainville puis à Compiègne et, enfin, libérés en janvier 1943. Le troisième évadé réussit à se glisser parmi les passagers de la gare de Metz et à échapper à la déportation. On ignore le sort des deux manquants à l'arrivée.
La reconstitution de la liste de départ a permis de retrouver 1160 noms et près de 750 matricules. Elle montre que le convoi a été composé par l'addition de quatre listes alphabétiques successives. . Dans les deux premières (1110 hommes au total), on trouve essentiellement des communistes, auxquels sont mêlés quelques socialistes et radicaux - considérés, à tort ou à raison, comme ayant des sympathies communistes - et des personnes dénoncées par pure malveillance comme communistes. Tous ces non-communistes ne dépassent pas la dizaine. On relève aussi la présence d'une quinzaine de droit commun. La troisième liste, est homogène : elle porte les noms de 50 à 56 juifs, arrêtés comme tels, ou identifiés comme juifs après leur arrestation. La dernière liste, très courte (moins de 10 noms) et incomplète, ne permet pas de préciser qui sont ces déportés. On peut évaluer à une soixantaine le nombre d'étrangers dans ce convoi : ce sont, pour la plupart, des Juifs réfugiés en France dans les années 30 ou des mineurs de Lorraine d'origine italienne ou polonaise.
Ce transport occupe une place particulière dans la déportation de répression. Non seulement par sa composition, - c'est l'un des très rares transports partis de France à ainsi mêler des Juifs, arrêtés en tant que tels, et des politiques - mais aussi par sa destination, sa date de départ et par ses objectifs.
Il est l'un des trois transports de déportation de répression à avoir été dirigés sur Auschwitz-Birkenau, avec le convoi de femmes du 24 janvier 1943 et celui des hommes du 27 avril 1944.
Il est le premier convoi de déportation de répression à quitter Compiègne et le seul de l'année 1942.
Ces caractéristiques s'expliquent par les objectifs de cette déportation. Il s'agit d'un convoi de représailles formé, à l'origine, par l'administration militaire allemande afin de dissuader les dirigeants et les résistants communistes de poursuivre la guérilla urbaine, commencée en août 1941, sous la forme d'attentats contre des officiers et des troupes de l'armée d'occupation.
Après avoir ordonné en août 1941 des exécutions massives d'otages, Hitler décide en 1942, d'y ajouter, la déportation de 500 communistes et Juifs pour chaque nouvel attentat. Ces mesures de représailles s'inscrivent dans la croisade hitlérienne contre " l'adversaire idéologique et racial du peuple germanique " : le " judéo-bolchevisme ". C'est ainsi que les deux premiers convois de la " solution finale " partent vers Auschwitz sous le prétexte de la politique de représailles.
Le transport du 6 juillet 1942 doit, en principe, " déporter vers l'Est " les otages communistes. Ceux-ci sont soigneusement choisis dans chaque département de la zone occupée par les Feldkommandant, selon les directives du Commandant militaire en France (MBF) relatives au mode de désignation des otages à exécuter et/ou à déporter. Cette sélection a pu se réaliser grâce aux renseignements fournis par les autorités françaises.
Dannecker, responsable en France des affaires juives de la police de Sécurité (Sipo-SD) se charge de l'organisation du transport vers l'Allemagne. Il ajoute les derniers otages juifs du camp de Compiègne aux déportés politiques : ainsi pourrait s'expliquer la destination du convoi vers Auschwitz, à la fois camp d'extermination et de concentration. Le transport arrive à Auschwitz comme étant un " convoi du RSHA-Paris " (sous la même dénomination que les convois de Juifs de France). Ainsi se manifeste, une nouvelle fois, la confusion entretenue par les services des affaires juives entre les premières déportations de Juifs de France et la politique de représailles des premières attaques de la résistance communiste contre des membres de l'armée d'occupation.
Ces déportés ont été arrêtés entre septembre 1939 et juin 1942 : 30% d'entre eux avant le 22 juin 1941, et 12% dans les jours suivant l'attaque allemande contre l'Union soviétique (entre le 22 et le 30 juin 1941). A partir de septembre 1941, les Allemands procèdent à de nouvelles arrestations de masse dans plusieurs départements, notamment en Meurthe-et-Moselle, dans le Calvados[2] , la Seine-Inférieure, la Seine-et-Marne et dans l'ancien département de la Seine, à la suite d'attentats et de sabotages organisés par les communistes. C'est dans cette dernière période, essentiellement en mai 1942, que les Juifs destinés à être déportés dans le cadre des représailles sont arrêtés en même temps que les communistes.
Dans la quasi totalité des cas, des policiers ou des gendarmes français sont présents, agissant seuls ou apportant leurs compétences à l'occupant.
Ces déportés sont en majorité des ouvriers (en particulier de la métallurgie et du bâtiment), des mineurs, des cheminots, mais aussi des artisans, des commerçants, des enseignants, etc.
Ces hommes sont généralement des syndicalistes de la CGT et des militants communistes : ils sont secrétaires ou trésoriers de cellule, mais certains ont un niveau de responsabilité plus élevé. Au moins 86 d'entre eux sont d'anciens élus : maires, conseillers municipaux ou d'arrondissement, ou même député (Robert Philippot).
Ces déportés étaient domiciliés dans 43 des 49 départements de la zone occupée. Plus de la moitié étaient des habitants de la Seine.
Une partie importante d'entre eux étaient des résistants du Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France. Quelques-uns appartiennent à d'autres organisations de Résistance.
Un tiers au moins des futurs " 45000 " ont été sélectionnés parmi les otages déjà présents au camp de Compiègne avant le 27 avril 1942. Une partie des autres sont transférés après cette date depuis les prisons et les camps d'internement français. D'autres enfin ont été amenés directement à Compiègne en mai 1942 à la suite des attentats commis en avril et en mai dans leur région.
D'après le témoignage d'un détenu polonais travaillant au bureau de la Gestapo du camp d'Auschwitz, le convoi serait arrivé au camp-souche, appelé par la suite Auschwitz-I, avec l'ordre de lui " appliquer le traitement Nacht und Nebel " signifiant que les détenus ne pouvaient communiquer avec l'extérieur. Ce qui n'impliquait pas que les " 45000 " étaient réellement des " NN " (c'est-à-dire des prisonniers qui auraient dû être logiquement jugés en Allemagne dans le plus grand secret, selon le décret de Keitel de décembre 1941).
A leur arrivée, le 8 juillet 1942, les déportés sont enregistrés entre les numéros 45157 et 46325 et deviennent ainsi pour les autres détenus des " 45000 " ou des " 46000 ". Ils sont conduits, le lendemain, à Birkenau. Le 13 juillet, la moitié d'entre eux retournent à Auschwitz-I, les autres restent à Birkenau. Au bout de neuf mois, ils ne sont plus que 160 dont 27 pour ceux demeurés à Birkenau. Nombre d'entre eux ont été gazés après avoir été " sélectionnés " comme " inaptes aux travail ". En décembre 1942, quelques " 45000 ", contactés par des résistants du " Comité international ", dirigé par des communistes autrichiens (dont Hermann Langbein) et allemands des Sudètes, créent le premier réseau français de résistance à Auschwitz-Birkenau.
En mars et août 1943, les derniers " 45000 " de Birkenau rejoignent Auschwitz-I. Le 4 juillet, ils reçoivent le droit d'écrire à leur famille. Puis ils connaissent une sorte de répit lorsqu'ils sont placés en quarantaine, à partir d'août 1943, au premier étage du block 11, la prison du camp, jusqu'en décembre 1943.
A partir de l'été 1944, les SS commencent à évacuer Auschwitz. A la fin août et au début de septembre 1944, les " 45000 " sont divisés en quatre groupes dont trois sont transférés par groupe de trente à Gross Rosen, Sachsenhausen et Flossenbürg d'où ils sont évacués en 1945. Ceux restés à Auschwitz partent le 18 janvier 1945 pour Mauthausen, à l'exception de trois d'entre eux qui assistent à la libération du camp par les Soviétiques.
Sur les 1170 hommes immatriculés, il ne reste, en mai 1945, que 119 survivants[3].
Claudine Cardon-Hamet pour plus d'info voir son site : https://deportes-politiques-auschwitz.fr/
[1]Pour plus de détails, se reporter aux ouvrages de Claudine Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz : le convoi du 6 juillet 1942, dit des " 45 000 ", Paris, Éditions Graphein, 1997 et 2000, et Triangles rouges à Auschwitz.Le convoi politique du 6 juillet 1942, Collection Mémoires, Paris, Éditions Autrement, 2005.
[2]Voir à ce sujet, l'ouvrage réalisé par le collège Paul Verlaine d'Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l'association Mémoire Vive, De Caen à Auschwitz, Editions Cahiers du Temps, Cabourg, 2001.
[3]Les dates de décès suivies d'un point d'interrogation sont celles de l'état civil français, souvent inexactes, contrairement à celles non suivies d'un point d'interrogation, relevées dans les archives du camp d'Auschwitz.Voir à ce sujet les pages 255 à 257 de Mille otages pour Auschwitz, op. cit.
Extrait du livre mémorial édition Tirésias 2004