Emile Jegaden

Emile Jegaden

Dans la nuit du 27 au 28 avril 2014 Emile Jegaden nous a quitté.

Déporté au camp du Struthof où il arrive le 19 août 1944 il sera transféré au camp de Schonberg

Actif dans la délégation du Val d’oise il avait apporté son témoignage à des collégiens partis en pèlerinage en avril 2012 au Struthof.

Il laisse le souvenir d’un homme humble qui avait à cœur de parler de ses compagnons disparus, de sa famille massacrée.

TEMOIGNAGE D’UN RESISTANT - DEPORTE

Monsieur Emile JEGADEN :
Né le 5 janvier 1921 à Plougasnou dans le Finistère.
Déporté au Struthof et Schomberg
Médaille du Déporté-Résistant.
Médaille Militaire

Son entrée en Résistance en 1943 à Plougasnou

Il s’engage dans les rangs de la résistance pour lutter contre le régime de Vichy et l’envahisseur. A Plougasnou, commune située au bord de la mer, le réseau se charge du passage des agents de liaison, la réception et le passage des parachutistes, la récupération et le transfert des armes vers les réseaux de résistance intérieurs.

Le réseau se charge également de cacher et de fournir de faux papiers aux STO.

Arrestation

A la suite d’une dénonciation, il sera arrêté ainsi que sa sœur et son frère à leur domicile le 3 Juillet 1944. Ils seront interrogés, torturés. Sa sœur et son frère seront fusillés. Emile, sera transféré à la prison de Pontaniou à Brest.

Le transfert vers le camp du Struthof

Il quittera Brest le 20 juillet 1944 avec d’autres prisonniers en direction de l’Allemagne dans un train chargé de munitions et de matériel militaire, les allemands quittaient la place. C’est un long périple qui commence sous les bombardements des alliés. Ce train récupérera tout au long du parcours de nouveaux prisonniers. Le groupe est homogène, essentiellement composé de résistants. A leur arrivée au camp du Struthof, ils seront immatriculés par ordre alphabétique du matricule 22701 au matricule 22792.

Camp de concentration du Struthof

A son arrivée dans le camp, c’est le choc ! L’impensable, l’inimaginable s’offre à ses yeux, à tous ses sens : La découverte de la monstruosité des camps de concentration.
En quelques minutes, déshabillé, intégralement rasé, immatriculé, il perd son statut d’être humain, il n’est plus qu’un numéro le 22749, avec une seule perspective annoncée par les bourreaux : Vous quitterez ce camp dans cette fumée que vous voyez là-bas crachée par la cheminée du crématoire. Durant cette période, pas de travail, le camp du Struthof va bientôt être évacué ; seulement des jeux.
Des jeux sordides, organisés par les gardiens du camp, par exemple, courir à toute allure, de haut en bas et de bas en haut, en parcourant les marches inégales et disjointes du camp, chaussé de claquettes, en portant une pierre immense et très lourde sur l’épaule ! Il ne fallait pas tomber, sinon, c’était la mort assurée, ou encore, toujours pour jouer, des appels interminables avec inéluctablement cette abominable pierre à porter sur l’épaule. La seule solution était de tenir, tenir encore, faire l’effort psychologique d’oublier cette pierre, ne pas s’écrouler.

 

Le commando de Schomberg

A la fin août 1944, il est transféré au camp de Schomberg. Ce commando avait pour mission de fabriquer de l’huile extraite du schiste présent dans les carrières de la région. Cette huile devait remplacée le pétrole devenu inaccessible à l’armée allemande depuis sa défaite sur le front russe. Schomberg est un camp sauvage. Les installations sont très sommaires. Les conditions de vie ou de survie y sont extrêmes, la mortalité est énorme. Lorsqu’il pleut les déportés à chaque pas s’enfoncent dans la boue jusqu’aux genoux. Ils doivent fournir un effort énorme pour s’extraire de ce
magma, ces efforts mille fois répétés s’ajoutent à la dureté du travail. La plupart les déportés dans ce camp travaillent à l’extraction du schiste. A son arrivée, Emile sera affecté à cette activité ensuite il travaillera à la construction d’un four destiné à la transformation du schiste en huile. Il est responsable de l’entretien du feu. Il travaille avec un contremaître civil allemand qui demande aux SS qu’un ausweis lui soit attribué afin qu’il puisse aller chercher le combustible nécessaire à l’alimentation du feu.
C’est au cours de cette période, que pour lui, résister dans les camps prendra toute sa dimension. Avec son ausweis, il est autorisé à circuler librement dans tout le camp ; il va chercher du charbon dans les caves, il en profite pour voler des pommes de terre qu’il dissimule dans le fond de son seau, sous le charbon. Avec son butin, il doit évoluer au nez et à la barbe des gardiens, au péril de sa vie. Il constitue une réserve de pomme de terre en les cachant à l’intérieur des briques réfractaires stockées pour la construction du four. Dans le four il fait cuire les pommes de terre. Ses camarades
Discrètement et à tour de rôle se rendent à l’intérieur du local. Il partage avec eux cette nourriture. Ce four est doté d’une double cloison, c’est ainsi qu’au moment des grands froids ses camarades peuvent venir avec son aide se réchauffer, se reposer.
Par deux fois, Il sera surprit ; la première fois alors qu’il cachait les pommes de terre dans les briques… il recevra un grand coup de pied dans les fesses de la part du SS de garde… les jours suivants il s’attendait à être pendu, c’était la punition en cas de désobéissance…. La pendaison n’est pas venue ! Une autre fois, alors que ses camarades se réchauffaient dans la double cloison du four, le même SS lui intime l’ordre de se rendre dans cet espace pour déloger les déportés qui s’y
trouvaient, Emile revient disant qu’il n’y avait personne. Le SS tire dans tous les sens, les balles de toute part le frôlent ! Par miracle, il ne sera pas touché !

La marche de la mort

Le 17 avril 1945 tous les déportés du camp sont jetés sur les routes pour une marche de la mort qui durera de nombreux jours. Durant cette marche plusieurs déportés épuisés furent abattus par les SS. Il n’y avait pas de nourriture, seulement quelques escargots crus, avalés à la hâte. Après de nombreux jours de marche dans le froid et la neige, à plusieurs, ils décident de s’évader de la colonne. Ils réussissent cette évasion. Ils sont libérés par les américains le 28 avril 1945.

Le retour

De retour en France, il pesait 32 kg. Il apprendra la mort de sa sœur et de son frère. C’est un nouveau choc, pourquoi eux et pas moi ? Il se mure dans le silence. Il ne racontera pas sa déportation, à quoi cela aurait-il servi ? Qui l’aurait cru ? Qui pouvait-être intéressé ? Et puis, il avait eu de la chance, lui. Il était vivant les autres morts.

Sa vie sera une vie d’engagement syndical.

Son témoignage

C’est en décembre 2005, Soixante ans après sa libération, qu’à Plougasnou sa commune natale, lors d’une conférence organisée à la mémoire de la Résistance et de la Déportation qu’il racontera pour la première fois son parcours de résistant et de déporté à un public venu très nombreux l’écouter. Son témoignage s’est terminé dans un silence de plomb. Les participants étaient abasourdis. Tous dirent, nous ne savions pas ! Depuis ce jour sa parole est libérée, il communique maintenant sur son parcours de résistant et de déporté, sur son expérience de survivant de l’univers concentrationnaire en portant des messages forts :

• dire ce qu’à été la Résistance Française durant la guerre,
• dire que chacun doit savoir s’indigner et savoir résister,
• dire ce que la nature humaine a de bon dans ses actes de solidarité, de fraternité, de
générosité.
• dire ce que les hommes peuvent faire à d’autres hommes au nom de la religion, du
nationalisme, du racisme, de la xénophobie.
• Dire à chacun d’être vigilant pour soi et pour les autres.

A l’issue de chacun de ses témoignages la question suivante lui est posée :

Mais, comment vous en êtes vous sorti ?

Humblement et immuablement il répond : J’ai sûrement eu de la chance !

Texte rédigé par Maryvonne JEGADEN épouse Moal, sa fille
avril 2012

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