Le camp annexe d’Ellrich-Juliushütte est créé en Mai 1944 sur l’emplacement d’une ancienne fabrique de plâtre. Le terrain, limitrophe de la gare du village d’Ellrich, est sur la frontière, futur rideau de fer, entre la Thuringe – commune d’Ellrich, camp des détenus – et la Basse Saxe – commune de Walkenried, camp des SS. Le taux de mortalité y sera très élevé.


Dès le 1er mai 1944, des déportés sont logés dans un premier bâtiment divisé en 3 blocks.


Dans un premier temps, ils dorment par terre ; plus tard dans des châlits. Une simple fosse sert de latrines. Fin mai est utilisé un nouveau block dans un autre bâtiment en briques. Le dernier bâtiment édifié sera le Crématoire, sur la colline ; il ne sera achevé qu’en mars 1945.


Des détenus d’Ellrich travaillaient dans des Kommandos spécialisés comme la forge ou la peinture mais pour le plus grand nombre au creusement des galeries du “B12”, extension Nord des tunnels de la Mittelbau, à 6 kms de là, et des galeries du B3 de Woffleben, en face, de même qu’à l’énorme complexe ferroviaire dans la plaine entre les deux.


Le trajet se faisait tantôt à pied, tantôt en train qu’il fallait attendre des heures réduisant le temps de sommeil à néant. En train ou à pied, les détenus devaient, prise dans les déblais de leur terrassement, rapporter une pierre, assez grosse – sinon le kapo se chargeait de vous en trouver une bien lourde – pour empierrer la Place d’Appel, puis combler le marais qui jouxte les bâtiments du camp.

Fin mai 1944, un convoi de juifs hongrois arrive à Dora. Une grande partie est transférée à Ellrich.

Dans ce camp se côtoient des Tsiganes, des Polonais, des Russes, des Tchèques, des Français et des Belges. Fin mai, on compte 1696 détenus, 2880 en juin, 4104 en juillet, 6187 en août et 8198 fin septembre. Après ces augmentations fulgurantes, le nombre diminue pendant l’hiver : 7957 en octobre et 6571 en janvier. Le dernier comptage du 31 mars donne un effectif de 7259 détenus.


A Ellrich, l’insuffisance de vêtements et de chaussures participait des conditions terribles de vie des détenus. Ainsi, pour pallier ce manque, les SS décident fin Novembre que tous les malades, les “inutilisables” autrement dit, qui restent au block, sont laissés nus pour vêtir les valides qui partent travailler. Ils ne sont pas pour autant dispensés de l’appel auquel ils sont présents avec en tout et pour tout, pieds nus, leur couverture sur les épaules…


Mi-février 1945, la fabrique de pain qui ravitaillait Ellrich est détruite causant la famine. La seule subsistance solide des détenus disparaissait ne leur laissant qu’une soupe claire de quelques navets et rutabagas. A Dora et Harzungen, ce manque de pain était modéré par la distribution de pommes de terre.

Au revier, il était impossible de soigner les malades. Ceux qui y étaient acceptés venaient y mourir. L’équipe médicale était dirigée par un médecin de Varsovie. Seuls ceux qui réussissaient à être transférés au revier de Dora avaient une chance. Les désinfections (voir article “La faim, et la fin”) furent particulièrement meurtrières.


Le 3 Mars 45 est organisé un “Transport” de 1602 malades qui arrivent à la Boelcke-Kaserne de Nordhausen le même jour. Le 6 Mars, ils repartent avec d’autres mourants dans un train de 2252 détenus à destination probable de Bergen Belsen. Aucun survivant n’est revenu de ce train.

Les alliés approchant, les Evacuations commencent, à pied et en train vers le Nord à travers le Harz. On les appellera “les marches de la mort”, le détenu qui tombe est immédiatement achevé d’une balle. La solidarité entre déportés sera à son plus fort, les plus valides soutenant les plus faibles. Mais le taux de mortalité sera effrayant…
Le camp est totalement évacué le 4 Avril 45.

 


Extrait du livre Mémorial des camps de Dora Ellrich édité en 1949

– Plainte de l’Amicale des Déportés d’Ellrich contre les responsables du camps auprès du tribunal des crimes de guerre – page 141
” Pendant une période de 11 mois, 3500 Francais passérent au camp d’Ellrich – 210 sont revenus soit 1 sur 17 .
De ces 3500 Français, immatriculés à Buchenwald le 20 août sous les numéros 77 et 78 000 arrivèrent à Ellrich le 7 septembre 1944.
huit mois après 38 seulement de ces 1500 revirent leurs pays : 34 vivent encore aujourd’hui, soit 1 sur 44.”

SOURCES :

Mémorial des camps de Dora- Ellrich – Collectif 1949,
Histoire du camp de Dora – André Sellier – 1998 édition la Découverte

 

 

La faim, et la fin :

Article de Jacques Grandcoin (77982) paru dans le journal LE PATRIOTE RESISTANT - mensuel de la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes - MARS 2003.

 

"Un important convoi « d’inaptes au travail » partit d’Ellrich-Juliushütte pour Bergen Belsen en Mars 1945. Jacques Grandcoin ( 77982 ) retrace ici ce que fut ce sous-camp de Dora-Mittelbau et les conditions atroces que connurent tant de déportés transférés vers Bergen-Belsen.

 

Bien que ces deux noms soient des homonymes, pour les anciens déportés ils sont synonymes dans la mesure où l’une conduisait à l’autre ! Au-delà de ce problème de sémantique, une étude sur le sort d’un convoi « d’inaptes au travail » parti d’Ellrich pour Bergen-Belsen via la Boelcke-Kaserne de Nordhausen au mois de Mars 1945, m’a convaincu que les SS ont voulu par ce biais exterminer les déportés, un acte dont il sera très difficile de démontrer l’intention criminelle.

 

L’étude de la vie des concentrationnaires dans le complexe de Mittelbau-Dora a fait l’objet d’un livre très documenté d’André Sellier (« Histoire du camp de Dora », La Découverte) historien et lui-même déporté à Dora. Ce livre a fait l’objet d’un article dans la rubrique des livres du PR (Janvier 1999). Dans cet ouvrage, l’auteur a mis en évidence les conditions de vie particulièrement affreuses dans le sous-camp d’Ellrich où l’on envoyait les « sans qualification professionnelle déclarée ». Ils y étaient affectés aux tunnels du B12 ou du B3, à la pelle et à la pioche pendant les douze hueres de travail quotidien, augmentées des délais de transport et des heures d’appel, avec pour tout viatique la maigre ration dévolue à la piétaille esclave. Ces conditions de vie déjà insupportables dans l’hiver rigoureux des montagnes du Harz – la température étant fréquemment de moins 15 à moins 20°C – furent aggravées par la vermine épidémique qui entraîna deux désinfections. Elles laissèrent des centaines d’hommes nus, avec une demie ration alimentaire quotidienne.

 


Sans vêtements, ni chaussures à l’appel


Au cours de nos recherches nous avons rouvert les archives du tribunal des Forces Alliées qui siégea à Dachau au mois d’Août 1947 pour juger les SS de Dora. Le témoignage de Paul Emile Caton (page 1263), déporté français affecté au Bureau du Travail, donne des chiffres émanant des documents originaux signés par le SS responsable, le Sergent Brinckman. On y apprend par exemple que le 14 Décembre 1944 il y avait à l’appel du matin 1242 détenus malades sans vêtements ni chaussures sur un effectif de 7445 hommes. Cette situation a perduré pendant des semaines alors que les magasins de vêtements du camp de Dora ou de Buchenwald regorgeaient d’habits pris sur les déportés à leur arrivée. En fait cette main d’oeuvre sans qualification, épuisée, était devenue sans intérêt, elle pouvait être éliminée purement et simplement.

 


L’audition du docteur Pierre Ségelle au même procès nous apporte d’autres informations (pages 1191 et suivantes). Mais auparavant il faut préciser que Pierre Ségelle était un médecin expérimenté qui avait exercé pendant 12 ans dans les hopitaux jusqu’à la guerre et, qu’après la Libération, il fut député-maire de la ville d’Orléans, ministre à deux reprises, une fois à la Santé, l’autre fois au Travail, et qu’il sera le président fondateur de l’amicale des déportés d’Ellrich. Pierre Ségelle indiqua au tribunal qu’il avait été affecté à l’infirmerie d’Ellrich, où il était arrivé le 29 Septembre 1944. « A peu près 300 malades par jour se présentaient après l’appel, déclara-t-il. Il n’y avait que dix lits libres chaque jour. Afin de faire de la place tous les deux ou trois jours, le chef renvoyait des malades, qui souvent mouraient le soir même. Au début, jusqu’à fin décembre, l’infirmerie était installée dans un grenier sans ventilation, ni lumière, ni fenêtre. Les malades étaient deux dans un même lit avec une couverture, ils gardaient leurs chemises. (...). Après le 31 Décembre, dans la nouvelle infirmerie qui était très propre, les malades étaient trois dans un même lit, complètement nus avec une couverture pour trois. Ils étaient tellement entassés les uns contre les autres qu’ils n’avaient pas froid ; la plupart qui arrivaient déjà mourant n’ont jamais pu se rendre compte de ce qui se passait à l’infirmerie. Les causes principales de mort étaient la fatigue due au manque de nourriture, à la longueur des horaires de travail, à la dysentrie, à la diarrhée. La dysentrie n’était pas causée par des microbes ou par des infections mais par la mauvaise qualité de la nourriture... »

 


A propos du convoi qui partira le 3 Mars 1945, le docteur Ségelle précise qu’il fut préparé pendant deux mois et qu’il comprenait 1603 malades, dont 400 furent extraits de l’infirmerie le jour même. Sur la place d’appel, les manteaux qui leur avaient été remis plus tôt leur furent enlevés malgré le froid glacial. Douze seront morts avant le départ pour la Boelcke Kaserne de Nordhausen. Ce convoi, augmenté de 649 camarades, soit 2252 « inaptes au travail », repartira à destination de Bergen Belsen le 8 Mars 1945. Très peu de survivants ont pu témoigner des conditions de vie dans le mouroir qu’était devenu ce camp de Bergen Belsen. Mais l’important dans ce témoignage, c’est la préparation du convoi pendant deux mois, qui concrétise l’intention criminelle.

 


Bergen-Belsen, avril 1945


Pour avoir une idée de Bergen Belsen à ce moment-là, nous pouvons nous reporter au rapport fait par le lieutenant-colonel de l’armée britannique, W. Gonin, commandant l’unité sanitaire qui prendra en charge le camp après sa libération le 15 Avril 1945. Il avait été écrit ensuite que cette unité avait été mise en quarantaine en Norvège après avoir accompli son travail dans le camp. En effet officiers et hommes avaient été au contact de déportés souffrant du typhus et d’autres maladies hautement contagieuses et avaient été contaminés. W. Gonin écrit : « Pendant ce temps-là (vers le 13 Avril) la bataille faisait rage tout autour du camp où il y avait approximativement 50 000 personnes dont 10 000 morts dans les baraques ou dans le camp. Ceux qui étaient encore en vie n’avaient rien mangé depuis sept jours après une période prolongée de sous-alimentation sérieuse. ( ... ). Nous avions donc des bâtiments, huit infirmières-chefs, environ 300 hommes du Service de Santé, un régiment anti-aérien léger, au moins 20 000 malades souffrant de maladies les plus virulentes connues, qui exigeaient tous des soins hospitaliers urgents, et 30 000 hommes femmes et enfants qui ne mourraient peut-être pas sans soins médicaux, mais qui mourraient certainement s’ils n’étaient pas alimentés et transférés loin du camp de l’horreur. ( ... ). Ceux qui mouraient de maladie mouraient en général dans les baraques ; quand la cause principale de la mort était la faim, ils mouraient à l’extérieur, car c’est caractéristique de la faim que de sembler vouloir obliger les victimes d’errer jusqu’à ce qu’elles tombent et meurent... »

 


Ce rapport contient de nombreuses descriptions que nous ne pouvons donner ici sur les découvertes que firent les troupes britanniques, sur les cas d’anthropophagie constatés, sur l’évolution du typhus, sur la promiscuité des cadavres et des survivants. Ainsi dans ces Transports du premier trimestre de 1945 comme d’ailleurs au cours des marches de la Mort, les nazis continuèrent leur entreprise d’élimination des déportés, après en avoir extrait toute la force de travail, les avoir spoliés et vidés de toutes ressources humaines pour les abandonner aux charniers de l’histoire.

 


Les archives apportent au fur et à mesure de leur mise au jour des renseignements qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’administration SS dans la vie concentrationnaire et, par là, éclairer l’histoire dont nous voulons qu’elle profite à l’avenir."



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