né le 1er février 1921 à Saumur BERNARD D'ASTORG est décédé  le  à Paris

 

 

11 AVRIL 2002 

 

ALLOCUTION DE BERNARD D'ASTORG.

 

surle  site de DORA MITTELBAU.

 

 "20181  c'est le nom qu'on m'a donné il y a près de 59 ans. Je l'ai porté pendant 19 mois sur ce site où l'absurde engendrait le désespoir, où la déshumanisation s'accompagnait du mépris de l'homme, où la folie du pouvoir détenu par les "seigneurs" créait la terreur chez les "esclaves".

 Oui, ils ont vécu ici, dans le bruit assourdissant, dans la promiscuité absolue, dans l'odeur de la maladie et de la mort, ceux que vous chérissiez, ceux qui furent jetés ici,

Parce qu'ils n'étaient pas de la borne race,

Parce qu'ils n'étaient pas de la bonne religion,

 parce qu'ils ne pensaient pas correctement,

parce qu'ils avaient lutté contre l'oppression

ou simplement par hasard.

 

Croyant les détruire en tentant de les réduire à l'état de bêtes apeurées, le système concentrationnaire n'a pu enlever à ces êtres meurtris dans leur chair, atteints dans leurs âmes, nus et dépouillés, leur grandeur d'HOMME, leur dignité d'HOMME.

Ils ont peut-être brisés leurs corps. mais jamais leurs esprits.

 

A quelques jours près, il y a 57 ans, nous étions des ressuscités de l'enfer.

 Alors nous voici encore une fois ici, pour nous souvenir, pour témoigner.

Car nous ne sommes pas ici seulement pour nous souvenir d'un passé, certes douloureux, pour rappeler les fantômes de nos camarades disparus, mais pour rechercher et proclamer sur ce lieu de MEMOIRE un message pour l'AVENIR.

 

Au pied de ce vestige d'un passé douloureux, nous représentons un témoignage encore vivant, même s'il est parfois trop silencieux, d'un passé que personne ne veut voir resurgir. Et pourtant notre expérience, qui fut et demeure unique, s'est renouvelée, et se renouvelle encore quotidiennement, différemment mais toujours aussi sauvagement, à travers le monde: des hommes et des femmes, pire encore, des enfants dans l'innocence de leur âge, subissent des exactions, des tortures, la mort souvent, parce que leur couleur, leur race, leur religion, leur mode de vie ne plaisent pas à ceux qui sont localement au pouvoir.

Oui, nous devons profiter de la chance qui nous a été octroyée de survivre pour refuser toute compromission avec les idées ou les agissements de ceux qui voudraient, encore aujourd'hui, bafouer les idéaux qui ont pour base la Déclaration des Droits de l'Homme. C'est ainsi que nous paierons notre dette envers ceux qui ne peuvent plus nous accompagner dans cette démarche. Survivants et sursitaires des camps de concentration nous serons bientôt peu nombreux à nous souvenir et à transmettre le message.

 

Alors, nous sommes encore là, quelques rescapés, pour aider à façonner cet avenir. L'ensemble de nos témoignages s'est transformé peu à peu en MEMOIRE d'un passé douloureux, mais dont la connaissance est nécessaire pour protéger l'avenir. Le général de Gaulle affirmait:" Le souvenir n'est pas seulement un pieux hommage rendu aux morts, mais aussi un ferment toujours à l'œuvre dans les actions des vivants."

Cette Mémoire, et donc ce "devoir de mémoire", se nourrit de nos témoignages individuels. Mais ils n'ont de valeur et de crédibilité que parce qu'ils sortent de notre bouche de témoins. Bientôt, demain peut-être, il faudra passer à une autre forme de Mémoire, c'est-à-dire à l'HISTOIRE. Ce seront les historiens, nourris de la Mémoire qui s'est constituée sur nos souvenirs, qui tireront les messages pour l'avenir:

- que chaque homme a droit à la reconnaissance de sa dignité quelles que soient sa race, sa religion ou ses idées;

- que la liberté a un prix qui peut exiger le sacrifice suprême;

-qu'enfin les Droits de l'Homme représentent une valeur au profit de laquelle on doit s'engager sans hésiter.

 

C'est ainsi qu'avec les années qui passent, les SOUVENIRS INDIVIDUELS, qui constituent la mémoire collective des hommes, s'offrent aux historiens pour devenir la conscience des Nations pour qu'elles assurent, à leur niveau, leur devoir de vigilance. Perdant peut être en émotion, l'historien s'efforcera de gagner en crédibilité. N'ayant pas connu nos morts, il en prolongera l'existence par la trace qu'il s'obligera à conserver de leur passage anonyme au milieu des égarements d'un monde qui hésite à se souvenir.

 

Notre présence en ces lieux de MEMOIRE, en ces jours anniversaires, est importante car elle cautionne la valeur des symboles qui y sont exprimés. Nous seuls pouvons encore penser à nos morts dans le secret de nos cœurs. Mais demain, seuls les HISTORIENS pourront assurer leur survie auprès des générations qui bâtiront le monde futur. Ces sites qui sont conservés entretiendront le souvenir du passé. Nous quittons les années de la MEMOIRE pour aborder celles de l'HISTOIRE. Si la première reste nécessaire à la connaissance du passé, la seconde deviendra la reconnaissance de ce même passé au profit des acteurs de demain auxquels nous passons le témoin. Déjà des historiens comme André Sellier  et le docteur Wagner, parmi beaucoup d'autres, ont entamé avec réalisme ce travail et nous les remercions avec une infinie reconnaissance d'avoir pris le relais et d'œuvrer pour faire revivre ce site.

Debout au pied de ces vestiges ail sein desquels nos morts existent encore un peu, efforçons nous avec ardeur de nous sentir en partie responsables de l'avenir en aidant aussi efficacement que possible ceux qui écrivent et rendent compte de l'HISTOIRE pour demain.   

 POUR QUE JAMAIS L'OUBLI NE RECOUVRE LA MEMOIRE.

                                                                                                                                20181"

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