Marion Chombart de Lauwe a créée un dessin original de l'ancienne gare voyageur de Bobigny à l'occasion de notre assemblée générale.
Marion Chombart de Lauwe vit et travaille à Paris. Elle travaille les paysages et témoignent du temps qui se dérobe et se raconte.
Son site : https://mcdl.net/
MRJ-MOI était notre invité pour présenter son musée.
Claudie Bassi-Lederman et Maryse Wolikow, ont présenté l’association, ses buts et objectifs et a présenté le musée en ligne
» LA SECTION JUIVE DE LA MAIN-D’ŒUVRE IMMIGRÉE : HISTOIRE DE RÉSISTANCE »
intervention
RAPPORT
".....Nos actions, au service de la mémoire de la déportation et de vigilance, permettent d’expliquer ce qui se passe, sur notre sol comme sur le territoire européen et dans le monde.
Elles sont donc plus que jamais nécessaires.
....
Merci à toutes et tous pour ces nombreuses actions qui montrent l’importance de l’engagement de chacun au service de la mémoire et de l’histoire, donc de la formation des
futurs citoyens..."
Le compte rendu en téléchargement
discours de Pierre Gernez, secrétaire général de l'association des Amis du musée de la Résistance nationale de Champigny
"Madame, Monsieur,
Mardi 15 août 1944, la journée promet d’être splendide. Et pas seulement grâce d’une météo radieuse : en ce jour de l’Assomption, des milliers de soldats américains et français dont de nombreux « indigènes » de l'empire colonial ont commencé à débarquer sur les plages de la Méditerranée. C'est le second Débarquement allié sur le sol de la métropole après celui de Normandie deux mois plus tôt.
À Paris, après d'autres services publics, les agents de police cessent – enfin – le travail à l’appel de la Résistance. Depuis la grève insurrectionnelle des cheminots entamée 5 jours plus tôt, la désobéissance civile se développe. Le syndicat CGT lance un mot d’ordre de grève générale, prélude à l’appel à l‘insurrection du colonel Henri Rol-Tanguy, chef communiste des résistants franciliens. Car la population n'attend pas ses libérateurs les bras croisés. Elle entend bien participer à sa propre libération. Comme dit la chanson : « Et Paris se met en colère/Et Paris commence à gronder ».
Du côté des nazis, tandis qu'un train blindé s’immobilise en gare de Pantin pour contrôler les voies d’accès à la capitale, la Gestapo réquisitionne le chef de gare, M. Guillemin. L’occupant est aux abois. Pour commettre son forfait, il évite la gare de l’Est et lui préfère la discrétion des installations ferroviaires de Pantin. Comme ce fut le cas pour les précédents convois de déportés des 18 avril, 13 mai et 11 août, le cheminot pantinois est poussé ici sur le Quai aux Bestiaux pour préparer un nouveau train de déportation. Les deux premiers partis de Pantin au printemps 1944 étaient massifs, composés de plusieurs centaines de femmes, l'autre composante de la Résistance. Le terminus est immuable : Ravensbruck au nord de Berlin où les prisonnières sont arrivées
quatre jours après leur départ de Pantin.
Mais, mi-août, la situation a changé. La libération approche : les Alliés sont à Orléans. L'impatience est palpable. À Paris, malgré la pénurie, les femmes ont confectionné de jolies robes d’été. Les hommes sont en bras de chemise. Si bien que personne ne prête attention aux autobus de la Société des transports en commun de la région parisienne, aïeule de la future RATP, mis gracieusement à la disposition des nazis et qui traversent la capitale, ni à leur cargaison humaine de plus de 2000 hommes et femmes, extraits des geôles du Cherche Midi, de Fresnes et du Fort de Romainville.
Mais qui sont celles et ceux que les tortionnaires s’apprêtent à déporter ?
1654 hommes et 843 femmes, des résistantes et des résistants, insoumis à la botte nazie, et à celle du régime de Vichy, des antifascistes de toutes nationalités, dont 22 Allemands, des étrangers aux noms imprononçables, réfugiés dans la patrie des Droits de l’Homme et pourtant poursuivis, et souvent arrêtés par des Français, des policiers, fidèles au maréchal. Rappelez-vous leur zèle lors de la rafle du Vel d'Hiv…
À quelques heures de la Libération, ces combattants aux portes de l’enfer étaient pourtant plein d’espoir après les deux tournants décisifs de la Seconde guerre mondiale : le 2 février 1943 à Stalingrad avec la victoire des armées soviétiques et le 6 juin 1944 en Normandie avec le débarquement tant attendu des Alliés.
Parmi ces hommes et ces femmes entassés dans les autobus, Robert Savreux, cheminot pantinois, et Hélène Cochennec, receveuse d’autobus au dépôt de Flandre. Les véhicules transportent aussi près de 170 aviateurs alliés : 82 Américains ; 48 Britanniques ; 26 Canadiens ; 9 Australiens ; 2 Néo-Zélandais et 1 Jamaïcain, abattus dans le ciel de France. Mais appréhendés en civil, ils ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre.
Comme leurs camarades cheminots de la SNCF, les machinistes-receveurs parisiens qui conduisent les autobus ont d’abord refusé d'exécuter ce transport, mais ils y ont été contraints par les nazis.
Soudain, ce mardi 15 août, un vrombissement de moteurs retentit du côté des Quatre-Chemins et près du pont de chemin de fer, à hauteur de chez Bourjois. Les autobus complétés par des camions bâchés de la Wehrmacht arrivent de la Porte de la Villette et par la route des Petits Ponts. Ils accèdent ici sur le Quai aux Bestiaux par les rues Denis-Papin et Cartier-Bresson. Cet embarcadère aménagé au XIXe siècle tire son nom de sa fonction : construit pour débarquer et livrer le bétail aux bouchers de La Villette, il sert en 1944 à emporter des êtres humains vers les abattoirs nazis.
Au fur et à mesure, les soldats font descendre les détenus avec brutalité et les entassent dans les wagons à bestiaux de 17 m2 sous une chaleur accablante. La canicule, c'est pas nouveau… Maurice Braun, déporté à Buchenwald, dira plus tard : « Ce qui me choquait le plus, c’était ce ciel pur de 15 août avec un soleil implacable comme un reproche. » L'embarquement s'éternise, camions et autobus effectuent des navettes pour expédier le maximum de femmes et d'hommes vers le IIIe Reich. En pleine grève des cheminots français, les nazis ont recours à leurs homologues de la Deutsche Reichsbahn pour piloter ce train et y amasser dans les fourgons, meubles et tableaux pillés au cours de leur retraite. Le chargement est effectué par des prisonniers. Fuyant l'avance alliée, des civils, membres des familles de S.S, et des collaborateurs français s'installent dans les voitures voyageurs.
Sur le quai, une infirmière et des jeunes de la Croix-Rouge, dont le Pantinois Roger Bécanne, distribuent des boules de pain et du boudin en conserve aux détenus. Profitant du va-et-vient, l'un des membres de l’organisation caritative remet un brassard à une jeune détenue qui l'attache à son bras et sort du wagon en toute discrétion. À Paris, Raoul Nordling, consul de Suède, négocie avec les autorités d’occupation pour éviter les déportations et les massacres dans les prisons. Dietrich Von Choltitz, le général commandant le Gross Paris, lui a donné sa parole. Une bien piètre promesse de cet officier farouchement nazi, bien loin de l’image idyllique des films « Paris brûle-t-il ? » de René Clément, et « Diplomatie », de Volker Schlöndorff. Admirateur de son « Fuhrer », Von
Choltitz a commis des exactions sur le front russe – un pléonasme pour un officier nazi. D’ailleurs, n’a-t-il pas annoncé que des « mesures de répression les plus sévères, voire les plus brutales seront prises en cas de désordre » ? Il sera le lendemain du 15 août à l'origine de l’exécution de 35 jeunes patriotes à la cascade du Bois de Boulogne.
Alerté par la tragédie qui se déroule dans sa commune, le pharmacien pantinois et président du comité local de la Croix-Rouge, Ernest Daumas, arrive sur le quai aux Bestiaux et parlemente lui aussi avec les nazis pour faire libérer au moins les prisonniers malades ou blessés. D’abord hésitants, les SS appellent les femmes enceintes, les tuberculeuses et les syphilitiques. Une trentaine d'entre elles descendent du train et sont poussées dans un bus qui les ramène à Fresnes. Parmi elles, une jeune résistante, Madeleine Riffaud, alias Rainer, qui reprendra bientôt la lutte armée.
C’est alors qu’une adolescente pantinoise accourt en sueur sur le site ferroviaire. Son père, Robert Savreux, cheminot résistant, a été aperçu par un voisin dans un des autobus. Geneviève Savreux qui n’a plus de nouvelles depuis son arrestation le 11 juillet, raconte : « Nous sommes allées avec la soeur Léonard rue Denis-Papin, dans un bistrot rempli de soldats allemands. Le voisin et le patron du café leur ont demandé de me laisser passer. » Accédant au Quai aux Bestiaux, la jeune fille interpelle chaque wagon : « Il est là, M. Savreux ? Il est là, M. Savreux ? » Tout à coup, elle aperçoit sa mère près de son père. « Papa est sorti du wagon en pleurant ». « J'ai prié pour vous voir ! », leur dit-il, le visage amaigri et fatigué après un mois de villégiature dans les caves de la Gestapo, 11, rue des Saussaies à Paris. Les détenus ont faim. Geneviève Savreux court alors chez le boulanger Bernard avenue Édouard-Vaillant pour demander du pain. Plus loin, le tenancier du Familistère lui remet du chocolat. À son retour sur le quai, les détenus supplient l’adolescente. Toute l'après-midi, elle reste aux côtés de son père, malgré les SS. « Je portais une jupe beige plissée avec un chemisier rouge et une ceinture à lacets que papa m'avait offerte. » Brusquement, le sifflet de la locomotive retentit, les familles sont refoulées par les soldats. Comme le consul scandinave, la Croix Rouge ne peut empêcher le départ du dernier grand convoi de déporté(e)s de la Région parisienne. Un orage éclate et la pluie procure un peu de fraîcheur par les lucarnes des wagons. Pas suffisamment pour les déportés, qui entonnent la « Marseillaise » pour se donner du courage.
Permettez-moi de citer ici quelques lignes du livre « Les Oubliés de Romainville », de l’historien Thomas Fontaine, conservateur du Musée de la Résistance nationale et auteur d'une étude historique sur le Quai aux Bestiaux à la demande de Bertrand Kern, maire de Pantin : « Le train est parti dans la soirée du 15 août, soit quelques heures avant la Libération de Paris. Le lendemain, mercredi 16 août, il s’arrête avant la gare de Nanteuil-Sâacy, près de La Ferté-sous Jouarre, car le pont ferroviaire sur la Marne a été détruit par un bombardement le 8 août. Les nazis obligent alors les captifs
à rejoindre la gare à pied. Cruelle coïncidence : un autre train de marchandises les y attend. À cette occasion, plusieurs évasions ont lieu, et les SS procèdent à des exécutions sommaires. »
A Paris, le consul de Suède Raoul Nordling a signé un accord avec le commandement militaire allemand en France qui place prisonniers et déportés sous sa protection. Mais, le chef nazi du convoi ignore le diplomate scandinave. La Résistance essaiera de stopper le convoi à Dormans, dans la Marne. La Croix-Rouge n'obtiendra que la libération de trois femmes et d’un prêtre polonais malade. Peu après Nancy, 2 femmes réussissent à s’évader. Un rescapé témoigne : " Nous étions désespérés. Leclerc était aux portes de Paris. J’entends encore les cheminots crier : " Vous n’irez pas plus loin, la
guerre est finie. Les Alliés ont débarqué à Saint-Tropez. "
Permettez-moi enfin de citer quelques vers de « Nuit & Brouillard » de JeanFerrat : « Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés »...
Après celui du 11 août, ce grand convoi du 15 août arrivera péniblement le dimanche 20 août à Buchenwald près de Weimar, la ville de Goethe, pour y débarquer les hommes. Les femmes poursuivront leur calvaire jusqu’à leur arrivée à Ravensbruck le lundi 21 août. Robert Savreux succombera aux mauvais traitements au Kommando d’Ellrich une filiale du bagne nazi de Dora-Mittelbau, le 28 décembre 1944. Hélène Cochennec sera gazée à Ravensbruck en mars 1945. À peine 840 femmes et hommes de ce convoi dit « des 77.000 », leurs numéros de matricule, reviendront de l'indicible, bien des mois après le ciel radieux de ce mardi 15 août 1944 qui avait si bien commencé.
Merci de votre attention."
© Pierre Gernez
ancien journaliste
Secrétaire départemental de l'association des Amis du Musée de la
Résistance nationale de Seine Saint Denis
8
Bibliographie : « Les Oubliés de Romainville », Thomas Fontaine, historien,
éditions Tallandier, 2005,
téléchargement
Quai aux bestiaux 2022.pdf (71.9 Ko)photos