Balbin André

Abraham dit André BALBIN
né le 12 mai 1909 à Tomaszow (Pologne)

1927
J’arrive en France, je rejoins une partie de ma famille à Nancy.

1930
Avec quelques amis, nous créons un Club Culturel en association avec les Etudiants Juifs de Nancy.
Nous organisons des conférences, des débats...

1932
Un Club Sportif
Du foot, des sorties en vélo, des excursions...

1934
Dans le cadre du Club Culturel, nous invitons Bergelson, qui vient d’Union Soviétique.
A la même époque, je participe à la création de la « Naie Presse » à Paris. Kessler vient à Nancy pour récolter des fonds, et je continue ensuite à envoyer de l’argent au journal. Je le distribue aussi dans les foyers.

1935
1er Bal au profit de la « Naie Presse ». Avec mon frère Szmuel, Ziegler et d’autres amis, nous fabriquons l’affiche en découpant des lettres dans différents journaux. C’est un succès, le bal aussi.

1936
• Propagande pour l’Espagne. Mon frère Szmul s’est engagé.
• Création d’une bibliothèque Yiddish à Nancy (rue des Tiercelins, dans une pièce que nous louons).

Et jusqu’à la déclaration de guerre, les activités se multiplient. Des camarades de Paris viennent faire des conférences : Alfred Grand, Spiro, Kovalski, Tchanik (orthographe plus qu’incertaine)

Quand je rentre de déportation, ma première pensée va aux enfants orphelins et j’organise une colonie de vacances à Contrexéville (Vosges).

Puis, nous formons un comité avec André Gurecki, M. Lewkowicz et M. Brajzblatt qui s’active à transformer le « 55 » (55 rue des Ponts), à créer une plaque commémorative où sont inscrits les noms de tous les déportés qui habitaient Nancy.

Nous animons cette maison par des conférences, des spectacles, des réunions...
Des camarades de l’UJRE et de la « Naie Presse » se joignent à nous le temps d’une conférence, d’un débat : Marceau Vilner, Minkowski, Anna Vilner et bien d’autres.

1959
Des amis font le voyage à Auschwitz et ramènent une urne de cendres.
Il faut les déposer officiellement. Je m‘investis alors de la charge de ramasser de l’argent pour construire un monument commémoratif -malgré l’opposition de beaucoup qui pensent partir en Israël et transporter là-bas les cendres-.

1963

Inauguration du monument, à l’entrée du Cimetière Juif de Nancy.
Et depuis ce jour, une cérémonie officielle a lieu tous les ans, au Cimetière, le jour commémoratif de la Déportation.

2000

Le 14 juillet, Monsieur André Rossinot, Maire de Nancy, me remet la médaille d’or de la ville en reconnaissance de mon devoir de mémoire auprès des collèges et des lycées et de mes actions contre l’antisémitisme, la xénophobie, le racisme, l’injustice.

2001

A 92 ans, je reste actif et militant, je suis :
• Président d’honneur du « 55 » - ACJ (Association Culturelle Juive)
• Vice-président de la FNDIRP de Nancy
• Président de l’Amicale d’Auschwitz de Nancy -il ne reste que 3 déportés-.

André Balbin est décédé à Nancy, le 11 septembre 2003

TEMOIGNAGE

MON PASSAGE A IG-FARBEN - 1944/1945

"Après avoir été interné un an à BIRKENAU et un an à AUSCHWITZ, j’ai été envoyé à IG-Farben. Là-bas, je me suis retrouvé dans un atelier de mécanique pendant quelque temps, et j’ai ensuite été désigné pour faire des installations électriques dans un bâtiment en construction.

Le travail était d’autant plus difficile que je ne connaissais rien à ce domaine (étant tailleur de profession). Mais, le Meister qui dirigeait cette partie de l’usine était un militaire de la Wermacht, ce n’était pas un hitlérien, il s’appelait Schmitt. Il m’a en quelque sorte mis sous sa protection et m’a appris l’électricité. Je suis ainsi devenu un ouvrier qualifié.

Un jour, il m’a envoyé chercher des outils dans un baraquement de chantier. Quand j’étais dans ce baraquement, la porte s’est ouverte et un SS est entré. Avant même de me demander ce que je faisais là, il m’a roué de coups en déclarant que je me cachais pour ne pas travailler. Plus d’une heure après, le Meister Schmitt est arrivé en disant qu’il me cherchait partout. J’ai raconté ce qui m’était arrivé. Il a alors demandé au SS de me relâcher en disant : « c’est un bon ouvrier et j’en ai besoin pour mon installation ». Je suis certain qu’alors il m’a sauvé la vie.

J’ai continué à travailler sur le chantier et dans l’atelier de mécanique jusqu’à l’évacuation des camps, vers le 17 janvier 1945. Ensuite, j’ai fait « la marche de la mort » pendant un mois et je me suis évadé le 14 février 1945.

Dans le camp IG-Farben, j’étais au bloc 21. Les conditions de vie y étaient identiques à tous les autres camps (pas de nourriture, des coups, des brimades ...). J’ai la chance d’avoir survécu et de pouvoir témoigner aujourd’hui."

André Balbin

LE PROCES PAPON, CINQUANTE APRES

"Au départ, il y a eu cet article dans le « Patriote Résistant » annonçant qu’il y aurait un procès Papon et informant que Maître LEVY était l’avocat de la partie civile pour la F.N.D.I.R.P. et je découvrais que Papon était à la Préfecture de Bordeaux pendant la guerre, il était secrétaire général, directeur du service des questions juives de 1942 à 1944.
Enfin justice allait être rendue, mes parents étaient partis de Bordeaux, c’était donc à cause de lui. J’ai contacté Maître LEVY pour qu’il me représente en tant que partie civile au procès.
En 1940, toute ma famille était à Nancy. Après les premiers bombardements, le bruit courrait qu’il fallait partir vers la Gironde et l’administration y participait en mettant des trains à disposition. Ayant une voiture, je décidais d’emmener mes parents âgés, ma sœur, mon beau-frère et leurs trois enfants en lieu sûr. Entassés à huit dans la voiture avec les bagages et tout ce que nous avions pu prendre dessus, autour, dedans, nous sommes arrivés à Libourne où se trouvaient déjà des amis. Mais à Libourne, il n’y avait plus de place et nous nous sommes allés à quelques kilomètres de là, à Branne, contents d’y trouver un endroit où loger. Je suis resté une quinzaine de jours et je suis rentré à Paris où je résidais, laissant les miens « en sécurité ». A Paris, j’étais déjà en contact avec tous les camarades de la Naie Presse : Youdine, Tcherno, Moïshe Burstin et bien d’autres. Je distribuais des tracts et j’essayais de gagner un peu d’argent pour vivre. Je ne pouvais pas retourner à Nancy, j’y étais recherché comme communiste. Je suis retourné à Branne une fois. Ensuite, j’ai été arrêté, en octobre 1941 et c’est à Auschwitz que j’ai appris la déportation de mes parents. Je ne les ai jamais revus.
Je ne pouvais donc pas être témoin direct mais il fallait que je témoigne. Je voulais voir Papon de près, lui dire ce qu’il avait fait à mes parents, à ma sœur, à ses trois enfants. C’était une nécessité. Parce que, pour moi, Papon est un criminel même s’il n’a pas de sang sur les mains. C’est un criminel « en gants blancs », sans lui les juifs réfugiés dans cette région n’auraient pas pu être arrêtés et déportés, il avait le fichier, il a donné des ordres. Et il savait qu’ils les envoyaient à la mort, tout le monde savait qu’Auschwitz c’était la mort. Je devais lui dire que j’ai souffert l’innommable pendant trois ans et que j’ai perdu mes parents trop âgés pour résister, gazés en arrivant au camp, à cause de gens comme lui.
Avec tous les aléas du procès, j’ai été convoqué le 12 février. Je suis allé à Bordeaux accompagné de ma femme et de mon petit-fils Julien (21 ans). Et c’est en tant que rescapé de la Shoah que Maître LEVY m’a demandé de raconter mon histoire à la barre : mon arrestation, ma déportation ; les trois années que j’ai passé à Auschwitz.
En entrant dans le tribunal, j’étais très impressionné. C’était difficile, j’ai parlé pendant une heure et demie, dans un silence total. Je sentais l’attention de tous, même de Papon qui n’a pas dit un mot. En sortant, Maître LEVY m’a félicité.
Pourtant, j’avais l’impression que ce procès n’avait pas grande importance pour Papon, il était libre, il pouvait se déplacer comme il voulait. Quand le verdict est tombé, quelle déception, la condamnation pour un voleur, un braqueur de banque, pas pour un criminel contre l’humanité, parce qu’un tel criminel doit être condamné à perpétuité, aller en prison et y rester jusqu’au bout. Au tribunal, j’ai déclaré que je voulais vivre pour voir Papon mourir, qu’il devait payer et que s’il n’allait pas en prison, il n’y avait pas de justice. J’ai l’impression d’une comédie jouée pour calmer ou faire taire la partie civile. Mais il y a eu un procès, les historiens sont venus expliquer ce qui s’était passé à Bordeaux entre 1942 et 1944, les journaux en ont parlé. Et c’est déjà beaucoup. Même cinquante après, il n’est jamais trop tard. Il ne faut pas oublier Auschwitz, parce que l’histoire se répète." 
Le 2 mai 1998 - André Balbin

Continuons la lutte

par Julien Daniel Attuil

Il y aurait beaucoup à écrire sur Abraham André Balbin, sur tout ce qu’il a vécu, sur tous les combats qu’il a soutenus au cours de ses quatre-vingt-quatorze ans de vie. Officiellement né en mai 1909 à Tomaszow en Pologne, il aura vu, de son petit mètre soixante et ses yeux bleu-délavé, la Démocratie remplacer la Barbarie en Europe ; il aura pleuré la paix succédant à la terreur ; et la joie de voir marcher son arrière-petite-fille aura peut-être supplanté l’horreur des camps. 
Élevé en Pologne dans l’amour de ses parents et de ses nombreux frères et sœurs, la religion tient une place importante dans son éducation. Au sortir de l’adolescence, la misère et les pogroms le poussent à quitter sa campagne polonaise pour rejoindre la France, patrie des libertés. Il prend alors sa vie en main et crée son petit atelier de confection. Ces années sont aussi celles du militantisme au sein du Parti, de la création du « 55 » et d’une jeunesse où il rêve à un monde plus juste. Viendra ensuite le nazisme, la déportation, les camps, la cohabitation pendant trois ans avec la mort qui lui enlève ses parents, sa sœur, son beau-frère et leurs trois enfants dont sa nièce Eva, qu’il a vu rentrer dans la chambre à gaz sans rien pouvoir faire. Rescapé des camps de la mort grâce à sa volonté, à sa soif de vivre mais aussi à la chance et, selon lui, à sa petite taille, il laisse à Auschwitz une partie de lui-même. A la Libération, malgré la perte des siens et l’horreur vécue, la flamme qui brûle en lui n’est pas éteinte, il veut continuer à vivre et à se battre. Son mariage avec Juliette lui donne Liliane et Daniel. Il monte aussi sa petite boutique de confection qui avec le temps et beaucoup d’investissement fait de lui un homme réputé pour ses costumes de qualité. Vient enfin le temps de la retraite, où il voyage beaucoup, vers l’Ouest comme vers l’Est, pour connaître le monde, s’imprégner des cultures et des civilisations. Survivant de l’horreur, témoin curieux et engagé de son siècle il nous a quitté le 11 septembre dernier. 
Tailleur il était resté
Au-delà d’une succincte biographie, j’aimerais écrire « quelques mots », comme il me l’avait demandé avant de mourir, sur l’Homme qu’il a été pour moi, sur les petites histoires qui me restent de lui. 
Il m’a confié un jour qu’il avait toujours souhaité être philosophe, penseur ou écrivain mais que son manque de maîtrise du français l’en avait empêché, alors tailleur il était resté. Mais c’était un tailleur philosophe, un tailleur écrivain, un tailleur humoriste. Il avait toujours le talent de raconter la petite histoire, l’anecdote appropriée – le plus souvent en yiddish – pour nous faire sourire, rire et réfléchir. Mais il était aussi là pour dire qu’une veste était mal coupée ou que des couleurs n’allaient pas ensemble.
Lorsque j’ai appris à conduire, il m’a conseillé de ne pas me préoccuper de ce qui se passe derrière car les autres le faisaient pour moi, il valait mieux regarder devant. Si je n’ai heureusement jamais appliqué ce conseil dans ma conduite automobile, je n’en pas moins retenu la leçon de trouver mon chemin et m’intéresser à l’avenir, à demain.
Il a été pour certains un camarade, militant infatigable d’un idéal communiste où il rêvait de voir les hommes fraternels et heureux. Mais au-delà de toute idéologie c’était un monde meilleur auquel il aspirait. Conscient de l’importance de chaque acte, il luttait au niveau local pour faire avancer les choses, pour faire progresser la solidarité et la fraternité. La politique avait une place importante dans sa vie, il aimait discuter avec chacun pour échanger mais aussi pour essayer de convaincre. Car s’il avait toujours le sourire et s’il aimait à plaisanter, il n’en restait pas moins un homme déterminé dans ses idées, parfois à la limite de l’entêtement. 
Trop de questions
Il a été pour d’autres un compagnon, dans le sens originel du terme de celui avec qui on partage le pain. Dans le camp malgré la faim, la souffrance et la peur, il a, à de nombreuses reprises, donné un bout de son pain, de sa soupe ou de ses vêtements pour aider un autre connu ou inconnu, jeune ou vieux. Au milieu de ce monde déshumanisé où certains hommes tentaient de réduire d’autres à des chiffres, à leur enlever toute humanité, il a fait partie de ces fous qui continuaient à croire à la nécessité du partage, de la solidarité ; de croire en l’Homme et en sa bonté.
André Balbin était aussi un historien de la vie qui sans relâche racontait son vécu heureux ou malheureux. Il était toujours là pour prendre la parole pendant une conférence, pour témoigner dans les écoles, pour discuter avec tous. Et tous ceux qui ont croisé sa route se souviennent de lui comme un petit bonhomme affable et souriant qui parlait un français parfois approximatif avec un petit accent yiddish et avec lequel il était si agréable de discuter.
Juif, il l’était, mais encore une fois, à sa manière. Il aimait à raconter comment, dès son plus jeune âge, il cherchait des explications sur Dieu et la religion. Déjà curieux et déterminé, il posait trop de questions à ses enseignants et mettait en doute ce qui, pour les autres, était accepté comme acquis. Il avait sa foi à lui, rejetant toute pratique religieuse sans pour autant la renier. Il cultivait ce lien étroit avec le judaïsme, cet attachement à la culture, à la tradition dont il avait hérité et dont il se sentait proche. 
Au-delà, André Balbin était mon grand-père, celui qui m’a appris à voir le monde avec ses yeux, à partager avec tous, à défendre le plus faible, à aimer la vie. Il était présent pour m’apprendre les échecs comme pour m’expliquer le monde, pour me laisser grandir comme pour me montrer la voie. C’était un grand-père admirable qui savait aimer et donner sans compter, c’était mon héros.
Quatre-vingt quatorze années lui ont permis d’accomplir beaucoup, même si certains de ses rêves restent inachevés. A nous désormais de poursuivre le chemin qu’il nous a tracé avec la même force, le même courage, le même amour et la même générosité. Que sa mémoire nous éclaire, que son souvenir nous guide vers ce monde plus juste pour lequel il s’est tant battu. 
Tu peux te reposer mon Papy, tes efforts n’ont pas été vains nous sommes là pour continuer la lutte.

Ton petit-fils qui t’aime, 
Julien Daniel Attuil

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