Les Françaises à Ravensbrück

D’après l’étude de Jacqueline Fleury et Marie-Suzanne Binetruy, les Françaises représentaient 8% de la population du camp. Arrivaient en tête les Polonaises, avec 36%, les Soviétiques, 21%, les Allemandes et les Autrichiennes, 18%, les Hongroises, 7,5%, et les autres pays, Tchèques, Belges, Luxembourgeoises, Espagnoles arrêtées en France, Anglaises et même des Américaines. La forte proportion de Polonaises, Soviétiques et Allemandes s’explique par le fait que le camp a été construit à l’origine pour y interner les opposantes politiques allemandes et autrichiennes. Ouvert le 18 mai 1939, il comprenait alors 860 Allemandes et 7 Autrichiennes. Les premiers convois de Françaises arrivent en 1942, mais c’est surtout à partir d’avril 1943 que se développent les sinistres transports de résistantes vers Ravensbrück. Le premier transport direct vers Ravensbrück a lieu le 27 avril 1943 avec 220 déportées. A partir de 1943, le camp est devenu surpeuplé.

Les historiens ont compté entre 100.000 et 130.000 détenues entre 1939 et février 1945, date des premières exterminations par le gaz. L’historien Bernhardt Strebel estime à 8.000 le nombre de françaises déportées, dont les trois quart sont des politiques. Enfin, il estime à 28.000 personnes (hommes et femmes) le nombre de morts dans le complexe concentrationnaire de Ravensbrück sur 66.000 déportées non juives dont 42.000 pour faits résistance [1]. . D’autres chiffres donnent un total de 200.000 personnes ayant transité dans le camp, avec 46.000 personnes en moyenne, dont 10.000 Françaises. Les condamnées de droit commun s’élèveraient à 2.500. Le dénombrement des femmes est souvent difficile du fait que les nazis ont détruit la grande majorité des archives administratives de Ravensbrück avant sa libération, et que les déportées sont enregistrées sous leur nom de jeune fille dans certains cas, ou leur nom de femmes mariées. Germaine Tillion a dressé des listes et des fiches nominatives dès la libération des Françaises qui ont servi de base aux historiens pour recouper les sources afin d’éviter les doublons.

Le Livre-Mémorial des déportés de France par mesure de répression (à distinguer des déportés arrêtés par mesure de persécution), publié en 2004 à la suite d’un travail collectif de recoupement des sources, recense 8.850 femmes, soit 10% de l’effectif total pris en compte. « Près de 7.000 connaissent un camp de concentration, qui est celui de Ravensbrück pour plus de 6.600 d’entre elles. Les autres sont déportées, soit uniquement dans des prisons du Reich, soit au SJ Schirmeck en Alsace annexée, ou sont arrêtées dans les limites du Reich ou dans les territoires occupés par celui-ci et n’entrent pas dans un KL [konzentration Lager]. On l’a vu, ces chiffres ne doivent pas être considérés comme définitifs par suite des problèmes soulevés par cette recherche… ». [2]

Ravensbrück est la destination la plus fréquente des déportées par mesure de répression provenant de la France occupée. D’après le Livre-Mémorial, sur 5.869 femmes dont on connaît la situation avec certitude, 3.207 ont été déportées à Ravensbrück, 1.274 à Neue Bremm, 452 à Aix-La-Chapelle, 314 à Bruxelles, 271 à Karlsruhe, 230 à Auschwitz, les autres à Dachau (64) et Fribourg-en-Brisgau (57). Neue Bremm était souvent une étape vers Ravensbrück.

Situé prés de Furstenberg-sur-Havel, dans des marais insalubres, le KL de Ravensbrück fut le plus grand camp de concentration pour femmes qui a existé dans le Reich. Il était dirigé par les SS et la police avait autorité sur le camp. A sa tête, un Lagerkommandant (ce sera Fritz Suhren en 1942) assisté d’un Lagerführer. Côté femmes, les Aufseherin, dirigées par l’Oberaufseherin, étaient recrutées parmi des volontaires ou des requises.

Les SS se faisaient aider par des prisonnières. Les Lagerpolizei portaient un brassard rouge, les Anweiserinnen, chef de colonnes de travail, un brassard rouge également, les Blockowas et Stubowas (chef de block et de chambre) des brassards verts tandis que celles qui travaillaient au Revier, l’infirmerie, et les Schreiberinnen (dans les bureaux) portaient un brassard jaune . [3]

Les Françaises étaient particulièrement maltraitées. Les Polonaises leur en voulaient d’avoir abandonné la Pologne en 1938, et étant arrivées très tard, et peu nombreuses, elles ne participaient pas à l’administration du camp. Dans son témoignage, Geneviève de Gaulle Anthonioz raconte comment elle se permet de le dire au commandant du camp. Lorsque ce dernier s’aperçoit qu’il détient une otage précieuse et lui demande si elle désire quelque chose de particulier, elle plaide alors pour les Françaises en disant qu’elles « sont parmi les plus maltraitées du camp. Leur situation serait moins mauvaise si elles étaient regroupées dans les mêmes baraques. Pour toutes, il faudrait des remèdes et des habits pour l’hiver ». « Ce n’est pas ton affaire », lui répond-il. [4]

Arrivées les dernières avec les Russes, les Françaises étaient écartées des postes « privilégiés », sécurisants et travaux moins durs. Comme l’écrit Germaine Tillion, « Pas une seule Française n’a été Blockova, Stubowas, Lagerpolizei, cuisinière ni chef de colonne (à l’exception d’une ou deux Alsaciennes et d’une Française mariée à un Polonais). En revanche, dans le courant de 1944, quelques Françaises, docteur en médecine ou infirmières, furent embauchées au Revier ». [5]

De plus, un grand nombre de Françaises avaient opté pour le statut de Verfügbar. Maisie Renault rapporte un dialogue avec sa sœur Isabelle pour savoir s’il ne serait pas préférable de travailler pour Siemens (qui donne des suppléments de nourriture) plutôt que de mourir de faim. Elles s’en remettent au sort. Maisie n’en dort pas de la nuit tellement le conflit est intense. Finalement, elles décident in extremis de se cacher pour ne pas être ramassées par les policières. Il en est de même des survivantes Françaises du convoi des 31.000 qui furent déportées d’Auschwitz à Ravensbrück. « Evitant constamment le travail, elles ont circulé dans le camp pendant des mois, bras dessus, bras dessous, à la recherche des nouvelles arrivantes ». [6]

Ce principe de refus de travailler pour l’industrie de guerre nazie, que partageait Anise Girard, et tant d’autres, les a structurées dans un désir de survivre à l’enfer.

Marie-Josèphe Bonnet
Historienne
Présidente de la DT de Paris (2015-2017)

[1] B. Strebel, Ravensbrück, Un complexe concentrationnaire, Fayard, 2005, p. 486 et 587

[2] Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Ed. Tirésias, 2004, 4 vol. t.1, p. 114.

[3] Voir J. Fleury, M-S Binetruy, « Ravensbrück », Leçons de ténèbres, Résistants et déportés, FNDIR-UNADIF, Perrin (1995), 2004, p. 204, ainsi que les trois livres de Germaine Tillion sur Ravensbrück.

[4] G. de Gaulle Anthonioz, La Traversée de la nuit, Ed. Seuil, 1998, p. 42.

[5] G. Tillion, Ravensbrück, Ed. Seuil, 1988, p. 198.

[6] Les Françaises à Ravensbrück, par l’amicale de Ravensbrück et l’ADIR, p. 226

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