La Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian
Le témoignage de Marie-Christine Hagopian, membre de la DT 77, invitée avec son mari Jean Christophe à la cérémonie au Panthéon.
21 février 2024
Le Quartier latin est devenu piétonnier en plein après-midi, sous une pluie battante : le boulevard Saint-Michel est interdit aux véhicules et un itinéraire balisé par des panneaux « Hommage national
de la Nation à Missak Manouchian et à ses camarades de Résistance » permet de rejoindre un barnum transparent irisé par les gouttes d’eau.
Il est 16 h 30 et l’espace est rempli de conversations animées : beaucoup de descendants d’Arméniens rescapés du génocide de 1915 perpétré par le gouvernement ottoman et arrivés en France via le Liban alors sous protectorat français ou via la Grèce se présentent à leurs voisins. Ils ont à cœur de dire d’où ils viennent, de raconter l’itinéraire suivi par les membres de leur famille souvent débarquée à Marseille et de parler de leur engagement associatif. Ma voisine, à la tête d’une association franco-arménienne qui rend hommage chaque année au couple Manouchian et à ses camarades de combat, est venue avec 14 membres ! Tous ont participé mardi soir à la veillée de Missak Manouchian au Mont-Valérien, une veillée intime et émouvante, en présence des descendants des 23 Résistants dont Katia Guiragossian, petite-nièce de Mélinée et Missak, de Fabienne Meyer, petite- cousine de Marcel Rajman, membre des FTP-MOI et d’autres, en présence également d’élus dont Pierre Ouzoulias, sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine et petit-fils du résistant Albert Ouzoulias.
Une des trois photographies de l’exécution des résistants de l’Affiche rouge prises par l’officier allemand Clemens Rüther et retrouvées par Serge Klarsfeld en 2000 (Mémorial de la Shoah)
Ma voisine précise qu’un long cortège a cheminé derrière la dépouille de Missak Manouchian avec en tête, les photos des 23 camarades de la Résistance du poète Arménien. Ces photos apparaissent sur des écrans disposés sur la grande place du Panthéon français en quinconce de part et d’autre de l’entrée principale et deux immenses écrans les surplombent.
La nuit tombe progressivement et la façade du Panthéon est constellée de cases colorées et codées, prémices d’une fresque animée à venir...
L’arrivée des cercueils de Missak et Mélinée
Les cercueils de Missak et Mélinée en haut de la rue Soufflot (France 2)
La voix de Serge Avedikian, acteur et réalisateur s’élève alors pour lire le nom des 23 compagnons d’armes des FTP-MOI suivis par « Morts pour la France » scandés par les élèves du lycée militaire d’Autun. Tous, nous sommes touchés par la prononciation respectueuse de chaque patronyme.
C’est au son du morceau Un rêve à l’horizon interprété par Rostom Khachikirian au duduk (doudouk), instrument traditionnel de la musique arménienne, que se poursuit la cérémonie. Ce hautbois arménien aux timbres chauds et doux dit la nostalgie, l’exil, l’amour du pays et reconnecte la communauté arménienne à la terre de ses ancêtres.
Nous suivons ces prestations sur l’écran situé à notre gauche car les artistes sont perchés sur le haut des marches et paraissent petits sous la devise éclairée : « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante »
L’écran nous permet de suivre la remontée des cercueils de Missak et Mélinée portés par les soldats de la Légion étrangère le long de la rue Soufflot, non loin de la Sorbonne et de la bibliothèque Sainte- Geneviève autrefois fréquentées par Missak le soir, après une rude journée de travail (usine ou emplois successifs).
La translation des cercueils vers le Panthéon (France 2)
Une mise en scène commence avec 3 arrêts autour de 3 verbes « SURVIVRE, CHOISIR et RESISTER ».
Premier arrêt du cortège sur le thème SURVIVRE : la chanson de Charles Aznavour « Ils sont tombés », rappelant le terrible génocide de 1915, tueries et déportations scellant la mort de 1,5 million d’Arméniens. Une chorégraphie accompagne la chorale de la maîtrise populaire de l’Opéra-Comique.
Rappelons au passage que ce sont les parents de Charles Aznavour, Micha et Knar, qui ont accueilli Mélinée lors de son arrivée à Paris et qui prodigueront leur aide au couple Manouchian puis, à la jeune veuve.
Deuxième arrêt du cortège sur le thème CHOISIR : lecture des extraits de textes des carnets de Missak Manouchian par divers comédiens : « Un grand poème germe dans mon esprit dont le thème va être la souffrance de l’esprit... » « J’ai le désir infini d’entrer dans les rangs du Parti Communiste et de me consacrer à la lutte sociale... » « Je laisse derrière moi ma noire condition d’orphelin tissée de misères et de privations. Je suis encore un adolescent ivre d’un rêve de livre et de papier. Je m’en vais mûrir par le labeur de la conscience et de la vie. »
Troisième et dernier arrêt sur le thème RESISTER avec l’interprétation de La complainte du partisan par 90 enfants de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique.
Changement de rythme : le chœur de l’Armée française entonne le Chant des partisans et tous les membres du public se lèvent pour chanter avec force cette chanson devenue un symbole de la Résistance.
L’interprétation inspirée de Feu ! Chatterton (France 2)
À peine assis et un peu étourdis, nous écoutons Arthur Teboul chanteur et parolier du groupe Feu ! Chatterton interpréter L’Affiche rouge (Strophes pour se souvenir), le poème de Louis Aragon, écrit en 1955, mis en musique en 1959 par Léo Ferré, en hommage aux résistants fusillés au Mont Valérien, et par lequel le couple Manouchian est entré dans la mémoire collective.
L’entrée au Panthéon
Le fronton du Panthéon illuminé des portraits des résistants (France 2)
Les cercueils de Missak et Mélinée Manouchian sont arrivés sur la place du Panthéon et sont entourés des photographies des 23 compagnons d’armes de Manouchian qui entrent également au Panthéon de manière symbolique : leurs noms seront gravés près du caveau où les Manouchian vont reposer.
La diffusion d’une fresque animée sur la façade du Panthéon débute et présente les 4 facettes de la vie de Missak Manouchian : l’enfance à Adiyaman, l’ouvrier poète apatride qui étudie, traduit en arménien ou en français les poètes de ses 2 pays, le militant résistant et la mort.
Lorsque « ARMENIE 1915 » s’affiche en caractères de lumière sur le fronton du Panthéon, on sent l’émotion poindre dans les gradins...
Les cercueils entrent dans le Panthéon sur la musique de « Grounk, l’oiseau d’Arménie » interprétée au violoncelle par Astrig Siranossian. Elle a déclaré lors d’une interview : « La musique a toujours été un moyen de survie ».
Le Président de la République prononçant si discours (France 2)
Quand les cercueils ont été déposés sous la coupole du Panthéon, le Président de la République se dirige vers le pupitre pour prononcer son discours d’hommage. Dans son allocution, empreinte d’émotion, Emmanuel Macron rappelle l’odyssée de Manouchian et de ses camarades et souligne le sens de leur engagement pour « l’Internationale de la liberté, de l’amour et du courage », scandant son discours par « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », un vers d’un poème d’Aragon louant leur engagement antifasciste et fustigeant la police pétainiste.
« Parce qu’ils sont communistes », dit-il, « ils ne connaissent rien d’autre que la Fraternité humaine, enfants de la Révolution française, guetteurs de la révolution universelle... ».
Au-delà de l’appréciation que chacun peut avoir sur la situation de la France aujourd’hui et les politiques qui y sont menées, l’hommage rendu par le plus haut représentant de l’État à la fois aux victimes du génocide Arméniens et aux étrangers engagés dans la Résistance française est un symbole fort.
La cérémonie se termine après une minute de silence et l’interprétation de La Marseillaise.
Notre périple s’achève à la gare de Moret-Veneux avec une dernière surprise : nous cheminons avec Dikran Zakéossian, le maire de Moret Loing Orvanne, présent également à la cérémonie, et échangeons nos impressions sur cette magnifique cérémonie qui nous en rappelle d’autres : celle de Simone et Antoine Veil, celle de Joséphine Baker...
Nous en espérons d’autres à venir...
Marie-Christine HAGOPIAN